Chronique pour la sortie de l’album
« dérèglement »
« Anticyclone trio raconte des histoires climatiques. Aussi ne sera-t-on pas étonné d’apprendre que le titre du premier morceau, « La mineure partie du territoire », vienne en écho à ce leitmotiv de la présentation météorologique : « sur la majeure partie du territoire… ». Clin d’œil taquin et en même temps militant pour une musique qui envisage la création comme un art total. Mais ce Dérèglement, entendez climatique, n’est pourtant pas un album vert-écolo. Ce serait franchement réducteur, voire racoleur. Il s’agit avant tout d’une esthétique décalée. A ce titre, « Caillou », qui clôt le disque, doit être envisagé comme ce minuscule élément qui désorganise un engrenage tout entier.
L’album se situe en partie dans l’absurde, le clownesque, le néo-trad et on n’est pas loin du mille en disant que les trois musiciens inventent un folklore moderne. Le jeu de Charlène Moura, qui a fait ses classes à Uzeste, comme celui de Marek Kastelnik, sont autant ancrés dans le sol qu’ils sont free. On est très souvent entre la consonance narrative et la dissonance. Et ce n’est pas l’apanage des instruments harmoniques puisque le jeu de Frédéric Cavallin participe grandement de la dramaturgie foutraque et saugrenue. Sans aucun doute car ce batteur a un net penchant pour les mélodies. D’ailleurs, lorsqu’on évoque « Saison d’air », où il mène le solo, il se revendique balayeur de nuages.
Le projet est un théâtre de poche qui, sans acteur, ni décor, invite à imaginer. Et de l’imaginaire à l’âme, il n’y a qu’un pas qu’on franchira aisément. Du reste, c’est précisément l’âme d’une femme sénégalaise, nommée « Bassine », que ces empêcheurs-de-tourner-en-rond nous proposent de découvrir dans le morceau qui en porte le titre.
Fait de ritournelles, de motifs qui virent à l’obsession, de sonorités de carillon quand le glockenspiel s’en mêle et d’envoûtement, Dérèglement sonne comme une pièce brechtienne. »
Gilles Gaujarengues – Citizen Jazz – 5 juin 2017
Entre Minuit et une heure
Les ados couchés, les frères, belle-soeur, belle-mère partis.
Nathalie lit au lit.
Après plein de bonnes choses dégustées et bues, conversations, rires, cadeaux.
Moment suspendu, un de mes préférés, seul je débarrasse, vaisselle au ralenti, je vous écoute, je vous entends. Légère lassitude, un peu parti un peu paf disait l’autre, corps et esprit disponibles, la musique entre
jusqu’au fond du corps et de l’âme.
Ce que vous avez enregistré correspond très exactement à ce moment, à cette disposition. Y pas grand-monde qui fait ça. Simplicité en surface, et derrière… Je pense : la porte est ouverte, on est à l’aise dans l’entrée, on peut repartir ou pas, est-ce qu’on ira dans les autres pièces maintenant ou une autre fois, peut-être un jour jusqu’au grenier, à la cave, à la cour derrière, au petit jardin ? Attendons l’invitation, un autre soir comme ça.
Dehors la nuit, pour la première fois depuis longtemps calme, il a plu violemment presque toute la journée, ça n’était pas arrivé depuis au moins six mois, les gens ne sont pas sortis, on n’entend pas brailler les fêtards et les ivrognes tristes en centre ville, et on découvre la fraîcheur humide de la nuit qu’on avait presque oubliée.
Dans une autre vie je ferai une musique pour ces heures-là. Une musique sur laquelle on rêvasse, on se raconte des débuts d’histoire dont on ne saura pas la fin, une musique de pourquoi ça s’arrête mais bien sûr si ça continuait ça serait trop, il y a tellement de musiques qui saturent, une musique évidente sauf que non, une musique qui trouble.
Et il y a un titre « La pluie la nuit ». Fait exeuprès.
Une légère ivresse qui donne de la légèreté à la mélancolie. Vous avez su faire ça avec des notes.
Merci Charlène, merci Marek que j’ai rencontrés et merci Frédéric que je connais pas.
Jean-José Mesguen, un cousin.
Chronique Météorologique d’une Contrebassiste
étape 1 : chasse – grottes – feu – graffitis – copulation -> mise en place d’une vie ne nécessitant pas encore d’y porter du recul.
étape 2 : micro-sociétés et conditions de vie trop efficaces, apparaît ainsi le « temps libre » -> découverte de l’ennui.
étape 3 : cherchons d’où vient ce nouveau sentiment – levons les yeux – pas encore de dieu dans le ciel – accusons donc les conditions météorologiques – ce qui est au dessus de nous nous dirige forcément, et tout le monde est d’accord pour s’en plaindre puisque nous n’y pouvons rien.
La plainte n’étant efficace qu’avec un interlocuteur pour la recevoir, si ce dernier est d’accord, la révolte se crée et s’étend. La première révolte fait donc face à une force non négociable – ce sentiment d’injustice nourrira à vie cette révolte. L’évolution logique de ces nouveaux schémas de pensée mène rapidement à la recherche d’arguments basés sur des preuves elles-mêmes basées sur pas grand chose afin de défendre son point de vue, chacun y allant de sa propre vérité, paroi impalpable délimitant aléatoirement l’objectivité de la subjectivité. Voici donc l’invention du conflit, en prime.
Quelques fois, j’ai tenté l’expérience de rendre leur valeur aux conversations météorologiques, en leur prêtant crédibilité. Il fait beau, oui, parlons en. C’est là que j’ai constaté que la catégorie des vielles personnes, première cible de ce genre de conversations, n’y est pas du tout préparée. Comme si c’était acquis, que non, une conversation météorologique ne peut pas porter de réflexion. Une manière polie d’affirmer son défaitisme. Ce qui se tient, au final : à quoi bon discuter, le ciel aura toujours raison de nous.
Brenda « Machin » Galliussi
Vivifiant comme une pluie fine d’un matin d’hiver
doux comme un sirocco d’automne
étrange comme une pluie d’été, tonitruant comme une tramontane
mélancolique comme un après-pluie
frais comme une giboulée de printemps
lumineux comme le levé d’une lune pleine
profond comme le ciel derrière les étoiles
atmosphérique comme…..heu…. la pression ……
Bref, Anticyclone porte bien son nom,
leur album s’écoute sans lassitude, sans longueurs météorologiques.
Prêle Abelanet
Accordeoniste du groupe Cavale
https://cavale-prele-abelanet.bandcamp.com
L’esprit libertaire et généreux d’Anticyclone
Hier soir, nous étions confortablement installés dans le bar culturel « Chez ta mère » pour écouter un trio au nom qu’on espère programmatique: Anticyclone. Difficile de définir ce trio car si, d’un clin d’œil, ils font suivre leur nom de groupe d’un ultra référencé « Tu perds ton vent froid », les hard-rockers n’y trouveraient leur compte qu’au prix d’une concession définitive aux rifs saturés.
En fait, Anticyclone pourrait se résumer aux mots de Marek Kastelnik, le pianiste du groupe: « C’est l’histoire d’un mec à qui il arrive des trucs ». Car leur musique est narrative. Sans parole, elle se prête néanmoins à un récit d’histoires imaginaires. Et, si le spectateur a toute latitude pour inventer le récit qu’il souhaite, on y trouvera aisément quelque chose de l’ordre du fantastique. Ainsi leur revisite de « I’ll shoot the Moon », de Tom Waits, nous raconte un improbable qui, pourtant, se déroule devant nos yeux. Magie des notes, des postures, des sons, nous sommes à la croisée du folklore moderne, du néo-trad, d’une musique qui n’est pas sans rappeler les arts du cirque, le tout dans une mise en scène savamment orchestrée. Ainsi le piano ouvert de Marek Kastelnik laisse-t-il voir les marteaux frapper les cordes comme on imagine une danse de cabaret. Le fifre de Charlène Moura évoque la musique traditionnelle, comme dans « Symposium », voire les activités pastorales quand elle hèle l’auditoire. Et quand on connaît le goût de Frédéric Cavallin pour les expériences musicales, on comprendra tout ce qu’il y a de liberté et de possibles dans ce répertoire.
De l’imaginaire à l’âme, il n’y a qu’un pas que le groupe s’autorise pour notre plus grand plaisir. Avec « Bassine », Anticyclone nous amène à découvrir l’âme de cette femme, ainsi nommée. Cette mise à nue spirituelle se fait avec beaucoup de respect et, dans un crescendo envoûtant, elle enrichit notre imaginaire. Via les ritournelles, les phases obsédantes, les berceuses, les moments où tout sonne comme un carillon, Anticyclone, à l’instar de « la marche des bœufs » ou encore du « dîner des amants », peint et dépeint des scènes aux touches impressionnistes.
Hier, les douze morceaux s’enchaînèrent comme on lit un recueil de nouvelles ou comme on regarde un film d’excellente facture: avec délice, jusqu’au tak de fin.
Gilles Gaujarengues – Citizen Jazz
PS: le trio sera dans le Lot le 30 juin prochain à Montgesty dans le cadre du festival Chercheurs d’étoiles.